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Richard Marazano : « Pour beaucoup d’auteurs, la science serait une sorte de magie des temps modernes. »

12 novembre 2008 |

mara_intro.jpgAvec Le Complexe du chimpanzé et Genetiks, Richard Marazano s’est imposé comme un brillant scénariste de science-fiction. Ses trucs et astuces ? Appuyer ses histoires sur les dernières avancées scientifiques en date, camper des héros forts, attachants et familiers, et titiller notre sens de l’éthique. Voyage intersidéral avec un passionné sidérant.

mara_01.jpgQuand situez-vous les riches heures de la science-fiction en bandes dessinées ? Vers les années 70, avec L’Incal ou Valérian ?
J’adore ces séries mais je les considère plus comme des space opera. Pour moi, la science fiction est une extrapolation romancée de concepts scientifiques, tandis que le space opera s’apparente à une sorte d’heroic fantasy de l’espace, sans volonté de réalisme. La science-fiction trouve ses sources à la fin du XIXe siècle avec des auteurs comme Herbert George Wells et Mary Shelley, à une époque où l’esprit scientifique commençait à avoir une influence tangible sur la société. Quand j’ai commencé Zéro absolu dans les années 90 avec Christophe Bec, il y avait peu de SF réaliste. J’établis toutefois une différence entre Le Complexe du chimpanzé et Genetiks, séries que je réalise avec Jean-Michel Ponzio : la première repose sur les personnages, tandis que le cœur de la seconde est la science.

Vous avez d’ailleurs étudié la physique et l’astrophysique…
J’ai simplement commencé des études dans ces domaines mais les journalistes ont vite fait de m’attribuer un doctorat en physique nucléaire… Je garde en mémoire mon éviction de la fac de sciences à cause de mes difficultés en mathématiques. Toutefois j’ai reçu une solide éducation matérialiste, scientifique et positiviste de mon père, directeur de recherche au CNRS. Mais je ne revendique aucun professionnalisme en la matière.

Ces études doivent tout de même vous être utiles pour expliquer le principe d’incertitude d’Heisenberg dans Le Complexe du chimpanzé…
Cela me permet surtout d’être cohérent et de ne pas trop déformer mon sujet. Bien des auteurs abordent ces concepts sans les maîtriser. Pour eux tout se passe comme si la science était une sorte de magie des temps modernes, ce qui peut les conduire à écrire des inepties fantasmatiques parfois ridicules. Cette citation de Wells l’illustre à mes yeux : « Les pinces de notre esprit sont grossières, en saisissant la réalité, elles la déforment toujours un peu. »

mara_02.jpgLe rêve de votre héroïne, Hélène Freeman, est de marcher sur Mars. Est-ce aussi le vôtre ?
Oui. Je suis né au début des années 70, alors que le petit pas de Neil Armstrong s’imprimait dans l’inconscient collectif. Cet événement a révolutionné la vision que l’homme a de sa place dans l’univers. Pour la première fois, on pouvait voir une photo de la Terre et en contempler la finitude. Beaucoup de gamins voulaient devenir astronaute, ou médecin, pour repousser les limites de l’espace et celles de la vie. Ces deux thèmes sont la matière même du Complexe et de Genetiks.

N’êtes-vous pas déçu à l’idée de ne jamais assister à un voyage sur Mars ?
Mais on le verra ! Les recherches se sont arrêtées à la fin de la Guerre froide, quand l’Union soviétique et les États-Unis ont cessé de faire la course à l’armement. Mais de nouveaux territoires souhaitent montrer leur puissance en la matière : la Chine et le Japon ont des programmes spatiaux et envoient des robots sur Mars. L’Amérique et l’Europe devront agir pour ne pas se laisser distancer.

Pourquoi avoir travaillé avec EADS (European Aeronautic Defence and Space company) sur la BD Blue Space ?
EADS souhaitait publier en interne un album [aux éditions EPA]. Chris Lamquet et moi-même avons reçu les conseils de responsables des espaces habités et des transports spatiaux. L’ouvrage s’est finalement retrouvé proposé à un plus large public. La suite sera publiée aux éditions Glénat. EADS m’a rappelé pour participer à un think tank [cercle de réflexion] visant à favoriser l’ouverture d’esprit des techniciens. J’ai passé l’après-midi à essayer de convaincre le responsable des transports et celui du programme martien d’envoyer un homme sur Mars plutôt qu’un robot. Ces responsables pestaient à l’idée des coûts que mes propositions impliquaient. Mais je suis sûr que s’ils choisissent un être humain, chaque minute de son voyage sera suivie par la Terre entière.

mara_03.jpgPourquoi avoir choisi la génétique comme thème de Genetiks ?
L’étude des gènes pourrait soulager les espèces de nombreuses maladies mais aussi initier une véritable révolution épistémologique, en bouleversant l’idée que nous nous faisons de la mortalité. Si la mort est programmée génétiquement, il doit être possible de modifier ce programme pour accéder à l’immortalité génétique… Il existe déjà des espèces vivantes « immortelles » sur Terre : certains mûriers, par exemple, vivent éternellement en se reproduisant par bouture – le plus vieux aurait 13 000 ans ! Ce qui importe c’est de savoir à quoi et à qui profitera le fruit de ces recherches.

Thomas, le héros de Genetiks, est à la fois chercheur et sujet de sa recherche. Il devient la propriété du groupe pharmaceutique Genetiks.
Cette série se déroule à une époque où l’idéologie libérale a triomphé : le fantasme fou et inepte de l’économiste américain libéral Milton Friedman est devenu réalité. Les gens pensent souvent qu’il n’y a que deux types de totalitarisme : le nazisme et les dérives staliniennes du communisme. Mais la philosophe Hannah Arendt en cite un troisième, l’impérialisme. Le libéralisme fonctionne sur un mode impérialiste. Il est un totalitarisme car il tend à s’imposer à tous les champs de la vie. Les rapports amoureux doivent être concurrentiels, la science productive et appliquée… Voilà ce vers quoi notre monde bascule sous l’impulsion du libéralisme : Genetiks commence aujourd’hui !

Un groupe de radicaux s’oppose aux recherches de la société Genetiks. Mais peut-on empêcher le développement scientifique ?
Ils ne veulent pas l’abandon de la recherche, ils luttent contre l’instrumentalisation et la privatisation de ces recherches par un trust de l’industrie pharmaceutique. La science est un outil qui peut asservir ou libérer. Elle ne devrait donc pas être accaparée par des groupes défendant des intérêts privés. Nous sommes donc condamnés à débattre de nos découvertes pour faire en sorte qu’elles profitent à l’humanité entière. Au-delà des applications des avancées scientifiques, il faut penser à leur évolution. Sinon, les scientifiques deviendront des techniciens au service de l’Empire. Genetiks/Monsanto, l’analogie n’est-elle pas frappante ? Cette guerre-là a déjà commencé. Le but et le terrain de cette guerre sont l’humanité elle-même…

Pourquoi avoir choisi de représenter Andreas Martin, le méchant de Genetiks, sous vos propres traits ?
Jean-Michel Ponzio se nourrit de documentation solide et, dans son entourage, il n’a pas trouvé de salaud plus convaincant que moi ! Andreas Martin est un personnage ambigu, à la fois scientifique créatif et destructeur. Mon sourire narquois permet de matérialiser cette dualité. Je me suis aussi pris pour modèle dans l’album que je dessine actuellement sur un scénario de Xavier Dorison, Le Syndrome d’Abel [à paraître en novembre chez Glénat]. Mais différemment, puisque j’y sers des sentiments plus délicats et plus intimes.

Ce sera aussi une histoire de science-fiction ?
Il s’agit plutôt d’une quête intérieure, d’un récit d’aventure. Un père, absent quand sa fille meurt, tente de comprendre les ressorts de sa vie au travers d’une aventure fantastique. Ce personnage est, à mes yeux, l’un des plus forts créés par Xavier.

Les scénarios du Complexe et de Genetiks sont denses et ambitieux. Savez-vous depuis le départ comment ils vont se terminer ?
Dans ces aventures, la fin est à l’origine du récit, qui fonctionne comme une parabole du mythe de l’éternel retour. J’ai voulu un dénouement émotionnellement fort, positif et poétique pour le Complexe tandis que Genetiks tient plus de la mise en perspective humaine et politique du sujet. Mais plus que la résolution d’une intrigue, ce sont les réflexions et les sentiments que cette résolution feront naître qui comptent vraiment.

Propos recueillis par Allison Reber

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Le Complexe du chimpanzé #1-2-3
Par Jean-Michel Ponzio et Richard Marazano.
Dargaud, 13 €. Lire la critique du tome 3.

Genetiks #1 et 2 (série à suivre)
Par les mêmes auteurs. Futuropolis, 18 €.

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Images © Jean-Michel Ponzio / Dargaud – Futuropolis

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