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Amour, science-fiction et Italie, par Manuele Fior

22 avril 2013 |

fior_entrevue_introAprès l’éclatant et très coloré Cinq mille kilomètres par seconde, prix du meilleur album à Angoulême en 2011, il explore le noir et blanc avec maestria. Dans L’Entrevue, publiée par Futuropolis, l’Italien Manuele Fior, 37 ans, nous plonge dans un futur proche et mystérieux : en 2048, Raniero, un psychologue un peu paumé, distingue d’étranges signaux lumineux dans le ciel. L’une de ses jeunes patientes, Dora, a vu la même chose. Serait-ce une manifestation venue d’ailleurs ? Avec justesse et grâce, l’artiste raconte une splendide histoire d’amour et d’anticipation. Il a bien voulu répondre à nos questions.

entrevue_1Raniero et Dora vivent dans une société mouvante, en plein bouleversement. Comme la nôtre ?
J’ai commencé à imaginer ce livre il y a trois ans, pendant une grand période d’immobilisme en Italie. Le pays me paraissait dans une impasse ; j’ai utilisé la science-fiction pour tenter de débloquer la situation ! Mais dans l’intervalle sont intervenus des changements radicaux, presque une révolution italienne : un mouvement anti-politique est né, venant du bas, et tentant de chasser une certaine classe politique. À travers cet album, je tente d’imaginer ce qui vient après. Je représente une jeunesse qui se réapproprie son pays, prend les choses en main avec une certaine naïveté. C’est une espèce de petite renaissance, bâtie sur des bases précaires, qui rappelle mai 68 en France. Il y a certes des contradictions dans les revendications de la nouvelle génération, mais aussi l’espoir que les choses changent vraiment, sans retour en arrière possible. Mes personnages évoluent dans une société qui deviendra idéale: avec des rapports humains sereins, sans conflit, par télépathie. Mais cette transparence obligatoire [à la fin de l’album, chacun lit les pensées de l’autre, sans mensonge possible] n’est pas sans revers, car elle entraîne la destruction d’une intimité…

Comment avez-vous conçu vos héros principaux, très différents l’un de l’autre ?
J’ai voulu montrer une génération face à une autre, avec des héritages différents. Raniero est un peu réactionnaire, mais se révèle finalement titillé par la nouveauté. Dora est l’étincelle qui fait exploser son univers, elle est un peu magique, très mystérieuse. Mais j’ai aussi voulu montrer ses limites : c’est une gamine qui signe la convention de non exclusivité alors en vogue [un engagement à ne pas s’attacher sentimentalement à une seule personne], puis revient à un amour unique.

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entrevue_2Quels films vont ont influencé dans la construction de cette histoire ?
Ceux d’Antonioni, comme L’Avventura ou La Nuit. Dans ce dernier, on retrouve le même univers psychologique : une crise amoureuse dans une fête bourgeoise ; une héroïne difficile à cerner et qui peine à s’intégrer dans un milieu, incarnée par Monica Vitti… Le thème de l’intégration m’est cher : je l’ai déjà traité dans Mademoiselle Else. Et il me touche de près, puisque cela fait quinze ans que je voyage et vis en dehors de mon pays [Manuele Fior est désormais installé à Paris]. Un exercice quotidien magnifique, mais qui oblige à chaque fois à perdre un peu de son identité, de sa stabilité, de son système originel de valeurs…

Êtes-vous un grand amateur de science-fiction ?
Oui, j’aime les livres d’Isaac Asimov, George Orwell, les films de Steven Spielberg, Stanley Kubrick ou Ridley Scott… J’avais envie de me lancer, de m’approprier cet univers en y imprimant mon style. Au début, je ne savais pas trop quoi raconter : je suis parti de l’accident de voiture de Raniero, en tout début d’album, juste avant sa vision de triangles lumineux dans le ciel. J’avais d’abord imaginé deux personnages principaux : Raniero et sa femme. L’idée d’introduire Dora m’est venue en mettant cet épisode en images. Le dessin m’indique toujours le nord ! Mon processus de création est très aléatoire, la direction du récit est établie au fur et à mesure.

Pourquoi choisir de représenter une présence venue d’ailleurs via des triangles lumineux ?
Je voulais inventer quelque chose de jamais vu, faire des extraterrestres une surprise, une épiphanie. Et surtout pas montrer une soucoupe volante ! Dans La Guerre des mondes, Steven Spielberg utilise aussi beaucoup la lumière pour montrer les aliens. Pour restituer cette présence étonnante, j’ai travaillé avec la designer Anne-Lise Vernejoul, qui a découpé et éclairé du papier, qu’elle a ensuite photographié. Cela s’intègre très bien à mon trait au fusain.

La lumière est une constante dans votre livre…
Oui, tout l’ouvrage est une expérimentation sur le sujet : j’y joue avec le soleil, les phares de voitures… L’usage du noir et blanc m’est apparu comme une évidence. Il rend facile la composition de grands cieux étoilés, les ambiances nocturnes…

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L’amour s’invite-t-il forcément dans vos ouvrages ?
Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas réussi à faire un livre de pure science-fiction ! Je n’ai pas réussi à sortir de mes mécanismes habituels. Des thématiques qui m’interrogent quotidiennement — l’amour, l’amitié… — resurgissent malgré moi. Mais j’ai confiance, un jour je passerai à autre chose !

Quels sont vos projets ?
Un livre sur le musée d’Orsay en coédition avec Futuropolis, et un album grand format et en couleur pour l’éditeur italien Canicola — qui sera publié par Atrabile en France. En ce moment, je lis beaucoup de poésie, je m’intéresse aux contraintes d’un texte et m’interroge sur le mélange allitérations/assonances et dessin…

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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L’Entrevue
Par Manuele Fior.
Futuropolis, 24€, le 5 avril 2013.

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Images © Futuropolis.

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Commentaires

  1. « L’entrevue » est beaucoup plus une histoire intime, une rencontre entre 2 êtres, une découverte de l’autre… qu’une histoire de science-fiction. Pour moi, la SF est juste le prétexte qui pose le contexte et qui va permettre à Manuele Fior de tisser une histoire autour. Se rencontrer, apprendre à se connaître, savoir se remettre en cause…

    Graphiquement, c’est aérien. Manuele Fior mélange très bien un dessin au trait avec des modelés veloutés et somptueux. On sent l’influence de l’architecture non seulement dans l’aspect très construit / géométrique des bâtiments, des formes qui apparaissent dans le ciel… mais surtout dans les jeux de lumières. Il nous offre un dessin « photographique » baigné de lumière et de contraste.

    Et le Raniero, il a vraiment une tête d’Italien avec sa petite moustache… Etant moi-même italien, il me semble l’avoir déjà croisé là-bas, dans le Frioul, dans la campagne de Pordenone… Qui sait…

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