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Aude Picault déconstruit l’ « Idéal Standard » amoureux

27 mars 2017 |

aude_picault_photoAprès plusieurs albums autobiographiques (Transat, la série des Moi je ou Papa), Aude Picault décale son regard sans complaisance sur notre société et construit à petites touches un personnage de jeune femme célibataire sans niaiserie dans Idéal Standard. L’occasion de rencontrer une auteure à l’esprit toujours au travail et d’aborder avec elle la violence des relations sociales et la difficulté d’être soi. 

Qui est votre héroïne, Claire ?

C’est une femme tranquille, introvertie. Elle a 32 ans, est blonde, ronde, pas très grande. Elle a deux très bonnes copines et est infirmière en néonatologie, un métier qu’elle adore, dans lequel elle s’investit beaucoup. C’est un personnage lumineux, mais qui subit, prend trop sur elle, ne gueule pas assez. Cela devient sa part d’ombre, son défaut. Et elle est obsédée par l’idée de se « maquer », de trouver quelqu’un. Elle souffre en fait.

De quoi ?

Elle ne sait pas ce qu’elle cherche : elle croit qu’elle veut rencontrer un homme, mais elle se trompe, elle est très immature, pleine d’illusions. C’est ce que l’histoire lui révèle. Elle finira d’ailleurs par s’accepter de façon plus mûre.

Comment son entourage contribue-t-il à cette souffrance ?

Claire n’est pas aidée par son entourage : elle se plante, mais tout le monde l’encourage dans sa recherche de l’homme idéal, qui est stérile ! L’une de ses proches n’est pas de très bon conseil, peu clairvoyante. Une autre, Marie, sa copine lesbienne, a un regard plus lucide, plus dur, et lui ouvre les yeux.

aude_picault_1La difficulté de reconnaître ses véritables besoins pour pouvoir y répondre semble vous tenir à cœur …

Oui, ce questionnement apparaissait dans Transat. Et déjà dans les Moi je, sur un mode naïf et premier degré, j’interrogeais plein de détails du quotidien, en me demandant « pourquoi je n’arrive pas à être moi-même ? ».

Vous avez fait beaucoup d’albums autobiographiques, ce n’est pas le cas de celui-ci. Qu’a Claire que vous n’avez pas ?

Cette bienveillance, ce don de soi. Je suis beaucoup plus méfiante. En fait Franck [le petit ami macho de Claire, ndlr] m’est assez proche dans ses intransigeances. Il est ma part sexiste, et même si c’est troublant de penser que je porte aussi ça en moi, j’ai été élevée de façon stéréotypée : ces blagues me font rire !

Et la famille de Franck ?

Elle est caricaturale, très normée : «  les filles sont comme ça, les garçons comme ça ». Ce sont des gens qui savent, ça les rassure… sans les empêcher d’avoir peur de tout. Ils sont insupportables, je ne les aime pas du tout ! Mais tout ce qu’ils disent sont des choses que j’ai entendu, un condensé en tout cas.

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Le sexe est un point crucial et difficile entre Frank et Claire…

Rien n’est gratuit dans toutes ces scènes autour du sexe : c’est tellement important dans la vie d’une femme. Claire est insatisfaite et inhibée, elle n’assume pas ses désirs et a vraiment besoin d’être aidée. Elle fait des demandes à Franck, mais il ne peut pas répondre à tout ça et n’est pas curieux des autres et de leur fonctionnement, un peu comme sa famille. C’est symptomatique de leur relation.

Comme l’histoire du placard ?

Oui, au début de leur relation, elle se cogne à un placard et il lui dit « tu t’habitueras », cela prédit un peu leur relation : ça fait mal, mais tu t’y habitueras. C’est aussi ce que lui dit sa copine Joe, qui vit pourtant elle-même une belle relation avec son mec. Elle ne voit pas la souffrance de Claire, lui dit qu’il faut faire des concessions, qu’elle est trop exigeante et que le couple c’est comme ça…

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Il y a beaucoup de violence dans cet album…

C’est effectivement un sujet important. Mes parents formait un couple qui portait une grande violence morale et m’ont éduquée dans ce que la pédopsychiatre Alice Miller appelle « la pédagogie noire » : éduquer, c’est redresser ce qui est tordu, il faut contraindre… Aujourd’hui, c’est très remis en question, heureusement ! J’ai écrit cet album sur plusieurs années, et je voyais cette violence partout, mais surtout dans le couple : les petites piques, les phrases qui font mal, la manière de reporter son insatisfaction sur l’autre. C’est une question de fond : Claire veut s’ouvrir, éviter cela. Pour elle, on peut se comprendre sans se malmener.

D’ailleurs, le choix de son métier très important et j’ai longtemps cherché une unité de néonatologie qui m’accueille en observation. Dans ce cadre de travail, la communication fait partie de la thérapeutique : il faut beaucoup se parler pour éviter les erreurs et être à l’écoute de ces micro-humains si fragiles. La bienveillance y est poussée à l’extrême, on remet en cause toutes les situations pour éviter la violence. Je me souviens d’un médecin  très en colère, car il y avait eu une erreur de planning et un bébé avait été piqué deux ou trois fois dans la journée, alors que ça les fatigue beaucoup. De même, les soins sont regroupés en un seul moment pour les laisser tranquille le plus possible.

Le travail de Claire était aussi très important pour faire contrepoids à sa vie, même si peu de scènes ont finalement suffi pour y faire écho. Ce service de néonatologie me semblait l’environnement parfait, qui interroge la maternité dans des conditions qui font exploser le mythe de l’instinct maternel. D’ailleurs, les parents de Frank ne comprennent pas vraiment ce qu’elle fait, ils sont trop fermés aux émotions.

Cet album est imprégné de problématiques féministes…

J’ai lu beaucoup d’ouvrages de féministes pour faire cet album, cela m’a fait aborder la façon dont les comportements sont déterminés par le genre. Mais c’est un regard sur la société très dur et une focale très précise, et j’ai eu besoin d’ouvrir un peu aux autres violences, même celles sur les hommes, car la violence est un phénomène global.

Propos recueillis par Mélanie Monroy

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Idéal Standard
Par Aude Picault.
Dargaud, 17,95€, le 6 janvier 2017.

Images © Dargaud / Rita Scaglia.
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