Le Japon du XXIIe siècle est pollué et peuplé d’androïdes, qui exercent moult tâches de services. Mais sur l’île de Kino, on vit encore comme au siècle précédent, sans IA. C’est là que sont installés Edo, architecte et fils du fondateur de la communauté de Kino, et son épouse Hélène, une pianiste française. Hélas, la musicienne a été victime d’un accident de la route, et elle peine à retrouver le chemin du clavier. Même si, au bout d’un an de convalescence, il semble que ce soit davantage l’angoisse qui la tétanise qu’une quelconque séquelle physiologique. Dans cette atmosphère dépressive, et alors que le gouvernement nippon veut fermer les frontières pour se protéger de l’influence extérieure, le couple bat de l’aile. Et tout est chamboulé le jour où Hélène commande une androïde jumelle d’elle-même…

Dans ce beau volume, le fond et la forme s’accordent comme rarement. La ligne claire extrêmement tenue, dans les silhouettes comme dans les décors, ainsi que les expressions accentuées comme dans un film muet, répondent parfaitement à cette histoire faux-semblants et de tension entre les traditions et la modernité, entre la soif de progrès et la perte d’identité, entre la sensualité perdue et l’envie de plaire encore, entre les intérieurs impeccables et l’extérieur propice au lâcher-prise… Histoire de science-fiction crédible sans presque aucun accessoire futuriste, enveloppée dans un design ultra précis et riche en motifs, jouant intelligemment des clichés de l’esthétique japonaise, Idéal interroge les aspirations des humains dans un monde qui a perdu son lien avec la nature et peut-être bientôt avec la culture, au profit de l’argent et du paraître. Pour leur première bande dessinée, Baptiste Chaubard et Thomas Hayman réussissent le tour de force de mêler les genres – SF, thriller, chronique de couple – sans jamais en faire trop ni céder à une quelconque facilité. Bravo.