La Gare
Bien calée dans son bureau vitré, évidemment situé tout en haut d’une tour, Hannah ne se mêle que rarement de la chose humaine. Celle qui dirige La Gare, une immense et labyrinthique machinerie ferroviaire, n’a en tête que la minutieuse gestion des flux de voyageurs que le moindre grain de sable pourrait faire dérailler. Évidemment, pour que BD il y ait, ce grain de sable arrive et prend la forme d’un bassiste dont la patronne s’entiche. Quand l’imprévisibilité des sentiments vient se confronter à la froideur managériale, ça nous donne La Gare, ambitieux et déroutant récit de Raphaël Geffray.
Le Parisien se régale en plongeant le cynisme du pouvoir dans la chaleur de la romance. Il joue habilement de ce choc entre le mécanique et l’incontrôlable, le planifié et l’inattendu. L’inaptitude de cette femme puissante à apprivoiser sa fragilité amoureuse est le moteur d’une bande dessinée qui rivalise de trouvailles visuelles. Raphaël Geffray, à qui l’on doit C’est pas toi le monde parue en 2015 chez Futuropolis, s’en donne à cœur joie en multipliant les esthétiques topographiques, les gaufriers en forme de plan et les décors aux allures de maquette. Tout au long de la bande dessinée son trait raide fait apparaître la structure de la gare comme un monstre de fer et de béton, intouchable, inamovible. Au milieu de cette rigidité, les personnages tentent tant bien que mal d’exister mais le dessinateur ne leur offre que partiellement la possibilité de redevenir humains. Vues lointaines, expressions difficilement perceptibles, traits droits : ces héros incarnent physiquement leur difficulté à apprivoiser cette drôle de chose qu’est l’amour.
Le récit joue également de ces difficultés comportementales. Hannah, en tombant amoureuse, tombe dans l’inconnu. Seul le pouvoir et l’argent ont droit de citer dans son univers. Raphaël Geffray déploie ainsi une société en minuscule, hyper stratifiée, où les gens d’en haut on perdu tout contact avec la réalité d’en bas. Un monde contrôlé par des élites qui ne savent plus se dépêtrer de leurs propres émotions quand, par inadvertance, elles parviennent jusqu’à leur cœur fossilisé. Et c’est peut-être dans cette trop grande ambition que la bande dessinée de Raphaël Geffray pêche, un peu. À force de vouloir faire monde, d’en dénoncer les affres tout en y installant les atermoiements psychologiques de ses personnages, l’auteur veut en faire beaucoup. Or, le temps de la BD ne lui permet pas la subtilité que nécessitait sans doute le traitement de cette histoire complexe sise dans un environnement déjà dense.
Mais il serait dommage de finir ce texte par une mauvaise note tant La Gare présente mille et unes facettes fascinantes : de ses expérimentations graphiques jusqu’à sa construction en passant par une vraie science du dialogue, le travail de Raphaël Geffray mérite clairement qu’on s’y plonge. Le temps d’un voyage en train, pourquoi pas ?
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