Mary Jane



« Si la société vous considérait comme une victime, ne seriez-vous pas déjà morte ? » Avec cette problématique martelée en tête d’opus, Frank Le Gall – Théodore Poussin, Les Marais du temps – pose le fil conducteur de son récit : il sera sombre comme les rues de ce Londres industrieux et malsain du XIXe siècle, loin des visuels steam punk à la mode, plus proche des univers de Dickens et des bas-fonds dont sont sortis Oliver Twist et David Copperfield. L’héroïne pourrait être leur soeur: elle s’appelle Mary Jane Kelly.
Certains ont croisé son chemin et racontent. Originaire de Limerick, elle fut mariée à un mineur, Davies, qui trouve la mort dans une explosion. Veuve à 19 ans, elle échappe à l’esclavage à peine masqué des ateliers de l’assistance publique. Elle fuit la campagne galloise pour Londres, véritable Eldorado et coeur de l’univers pour une Angleterre maîtresse des mers et à la tête d’un empire gigantesque. Là, elle pourra trouver un travail, pense-t-elle. Mais la réalité est tout autre. La prostitution l’attend avec son lot de malheurs jusqu’à son terrible assassinat par Jack l’éventreur en novembre 1888.
Frank Le Gall livre une histoire juste, sensible et loin de tout pathos, au plus proche d’une réalité sociale et historique, évitant le sensationnalisme qu’ont longtemps inspiré les méfaits du serial killer. L’autre danger était de tomber dans le déterminisme social que pouvait laisser présager l’accroche de la BD, mais il n’en est rien : la description des conditions est sobre, le dessin et l’aquarelle de Damien Cuvillier (Chronique de Notre Mère la Guerre, Nuit noire sur Brest, Eldorado) accompagnent le récit sans l’appuyer ou le surligner, apportant même une certaine douceur et humanité aux visages. Mary Jane est une figure valorisée, c’est une victime mais aussi une battante, elle n’est pour autant pas érigée en sainte : elle sombre dans la boisson, se transformant progressivement au gré du récit, se faisant plus rude, plus âpre.
Une tragédie historique réussie proche des humbles et des pauvres. Un récit à la Zola mis en scène, en grand format, de manière sobre et soignée.
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