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Matthieu Bonhomme, l’auteur qui modernisa Lucky Luke

25 avril 2016 |

bonhomme_portrait©Rita-ScagliaMatthieu Bonhomme est doué, et gonflé. Avec humour, finesse et précision, l’auteur d’Esteban, de Texas Cowboys ou du Marquis d’Anaon revisite Lucky Luke dans un one-shot fluide, émouvant et drôle, L’Homme qui tua Lucky Luke. Son héros d’un album fait halte à Froggy Town, où il pleut sans cesse, où l’on ne trouve pas de tabac, et où l’on semble pouvoir impunément voler l’or des habitants… Ce fan de l’oeuvre de Morris fête ainsi à sa manière les 70 ans d’un cow-boy qu’il chérit depuis l’enfance. Et qu’il a su moderniser avec un style plus réaliste, limpide.

Qui est votre Lucky Luke ?

Il ne tue pas ses ennemis. Le western est un truc de cour de récré, où règne la loi du plus fort. Les codes sont simples : on se débarrasse des méchants. Mais dans mon intrigue Lucky cherche la paix, utilise la psychologie plutôt que la violence. Mes valeurs personnelles s’y sont insérées…

Comment l’avez-vous trouvé graphiquement ?

Il a un peu d’Esteban en lui, avec un visage plus allongé, vieilli, et un nez arrondi. J’ai fait en sorte que Lucky Luke vienne à mon dessin — relativement réaliste —, et non l’inverse. Je suis resté sur mes propres terres, en sorte, avec une mise en couleurs similaires que pour Texas Cowboys — elle-même inspirée des couleurs de Morris… Pour la mise en scène, j’ai opté pour des plans simples, proches de ceux de… l’école franco-belge de Morris. Je me suis inscrit dans une véritable continuité.

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bonhomme_lucky_2Pourquoi mettre en scène trois méchants frères, qui ne le sont finalement pas tant que ça ?

Je me suis inspiré des frères Earp, et puis de ma propre fratrie. Même si on ne s’est pas fait frapper par notre père et que notre mère n’est pas morte [à la différence des parents des personnages, NDLR], j’avais envie d’évoquer ce lien familial.

Pourquoi ne pas utiliser les Dalton ou Rantanplan ?

Les Dalton sont trop caractérisés par leur aspect physique, ils n’offrent pas de supplément d’âme. Quant à Rantanplan, c’est une satire de Rintintin, un peu ridicule. Je ne voulais pas faire une galerie de personnages, mais rester dans l’hommage, et surtout dans un vrai western. J’ai gardé Jolly Jumper, un cheval intelligent et réactif, mais qui ne parle pas dans mon album. Il hennit, renâcle, et c’est tout.

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bonhomme_lucky_4Quel lien avez-vous avec la série de Morris?

J’ai toujours lu Lucky Luke : j’ai appris à lire et à dessiner — je calquais et recopiais les histoires — avec lui. J’ai entretenu cette relation au fil des années : même adulte, je relisais ces albums lorsque j’allais en vacances chez mes parents, en Bretagne.

D’où vient votre attrait pour cet univers, ce héros ?

Il y a une vraie étrangeté dans Lucky Luke : même si elle est devenue un classique, c’est une série au départ underground, avec des choix de couleurs très graphiques, parfois bizarres, qui lui donnent une vraie singularité. On n’y trouve pas de ciel bleu et de l’herbe verte comme dans Astérix. Il s’agit d’une oeuvre hyper habitée par ses auteurs, Morris et Goscinny, devenue grand public.

bonhomme_lucky_6Que pensez-vous du cow-boy solitaire ?

J’ai beaucoup de tendresse, d’admiration pour lui. Comme si l’amour que lui manifestait son créateur s’était communiqué au lecteur. Il faut dire que Morris n’a fait que Lucky Luke dans sa carrière ! Il a été comblé par son personnage, qu’il considérait comme un fils adoptif. Je vis un peu cela avec mon héros Esteban, j’ai plaisir à le faire et voir vivre. Pour moi, Lucky est un personnage crédible, touchant, doté d’une âme. J’aime particulièrement les albums où il a un ami, comme Le Pied tendre — il y enterre son vieux Baddy. J’apprécie aussi les moments où il sort aussi de sa carapace, se déguise, n’est plus une icône.

Comment ce projet s’est-il fait ?

Cela faisait plusieurs années que je disais à Dargaud, chez qui j’ai publié Le Marquis d’Anaon, que j’avais envie de faire un Lucky Luke. On me répondait invariablement que c’était compliqué, qu’il y avait déjà une série officielle avec un dessinateur adoubé par Morris (Achdé), etc. Et puis l’éditrice Pauline Mermet, que je connais bien, a été embauchée. J’ai à nouveau insisté, il y a deux ans, et il se trouve que Pauline a été chargée de s’occuper des 70 ans de Lucky Luke ! J’ai envoyé quelques visuels, et on m’a dit oui pour un one-shot.

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Quelles contraintes vous a-t-on fixées ?

J’ai posé la question de la cigarette. Tout de suite, on m’a répondu : « Sens-toi libre, mais impossible de faire fumer Lucky Luke. » Morris était content d’avoir sevré son personnage, donc il était impossible de revenir dessus. J’ai donc proposé de raconter pourquoi il avait arrêté de fumer. Je m’en suis servi pour faire vaciller Lucky de son piédestal : il est en manque, tremble, va jusqu’à tenter de fumer le calumet des Indiens pour se calmer…

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Quelles ont été vos références, pendant la réalisation de l’album ?

J’ai lu beaucoup de romans (Deadwood de Pete Dexter, L’Homme des vallées perdues de Jack Schaeffer, Warlock d’Oakley Hall…), vu beaucoup de films (La Poursuite infernale de John Ford, Le Retour de Frank James de Fritz Lang, Le Brigand bien-aimé de Nicholas Ray…). Mon Lucky Luke est un mix de Gary Cooper et Henry Fonda !

Quels sont vos projets ?

J’avance sur le septième Esteban, où l’on retrouvera mon héros avec quatre ans de plus — un jeune adulte ! Je l’ai écrit aux deux tiers, mais je ne suis pas sûr de moi, je le déconstruis partiellement… Mon exigence augmente avec le temps, et puis j’ai de plus en plus de personnages à gérer, l’écriture est à chaque fois plus difficile… Je prépare une exposition pour la Galerie Maghen en juin, à Paris. Et je réfléchis à différents projets seul, ou avec des scénaristes. Après Lucky Luke, il faut redescendre sur terre, oublier la nervosité, l’excitation…

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L’Homme qui tua Lucky Luke
Par Matthieu Bonhomme.
Dargaud, 14,99€, le 1er avril 2016.

Images © Dargaud / Photo © Rita Scaglia.
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Commentaires

  1. Oliv'

    Une fois que l’on s’est fait au trait du dessin et surtout au visage de Lucky Luke qui change de la représentation que l’on a du personnage, on passe un agréable moment de lecture.

    Un très bel hommage à un grand maître de la bande dessinée, un peu sous-estimé par rapport à ses contemporains.

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