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Un travail comme un autre

9 juin 2020 |
SERIE
Un travail comme un autre
DESSINATEUR(S)
SCENARISTE(S)
EDITEUR(S)
PRIX
28 €
DATE DE SORTIE
27/05/2020
EAN
2377314023
Achat :

Roscoe aime Mary et leur fils, mais il déteste son quotidien. Contraint d’exploiter la ferme dont Mary a hérité, il rumine sa frustration et la noie dans l’alcool : lui, son truc, sa passion, sa vocation, c’est l’électricité ! Une source d’énergie révolutionnaire et en pleine expansion dans cette Amérique des années 1920. Alors, un jour, il décide de relier sa maison au réseau. Sans rien dire à personne. Quelques temps après, le shériff vient l’arrêter : son raccordement illégal a entraîné la mort par brûlure d’un employé du fournisseur d’électricité venu inspecter les câbles. Roscoe est condamné à 20 ans de prison.

un-travail-comme-un-autre_image1Après avoir transposé brillamment le roman chinois Servir le peuple, Alex W. Inker adapte un autre texte, celui de l’Américaine Virginia Reeves. Il retrouve l’Amérique de l’entre deux guerres déjà brossé dans la biographie du boxeur Panama Al Brown, mais il plonge cette fois dans la campagne profonde. Ses champs de maïs et de coton, ses vieille voitures bringuebalantes, ses poteaux électriques aussi inquiétants que des gibets. Et ses hommes et femmes en proie à la faim et à la dépression : l’intime dépression qui ronge les coeurs et les cerveaux de ceux qui ne peuvent accomplir leur destin faute d’être nés au bon endroit, et la Grande Dépression, celle qui dessèche et affame les forces vives d’un pays. Il y a aussi le racisme institutionnel : les noirs ne sont plus des esclaves, mais en portent encore la plupart des stigmates – emprisonnés, ils sont que des numéros, et ils peuvent crever à la mine sans que personne ne le sache. De cette matière littéraire et de ce décor aride, Alex W. Inker tire une poignante tragédie graphique en trois actes – le foyer familial et ses frustrations, le pénitencier et ses tortures, et le retour impossible. Usant souvent de grandes cases, voire de pleines pages, autant pour poser les décors que pour soigner ses nombreux gros plans, l’auteur s’attarde sur les détails de l’architecture, des accessoires, des motifs. Mais surtout sur les visages, grimaçants tels les masques du théâtre antique, se déformant sous la pression de la haine, du mépris ou du plus mince espoir. Déjà déployé dans Servir le peuple, ce parti-pris de rapprocher le plus possible forme et fond éclate ici dans toute sa pertinence et sa sinistre beauté. Il en résulte un rythme étrange, lent, erratique. Qui permet de suivre l’évolution laborieuse de Roscoe, ni mauvais bougre ni victime, juste un citoyen qui ne trouve pas sa place, ni les mots ou les gestes pour tenter de s’en approcher. Et qui finit par accomplir des horreurs juste parce qu’il faut bien avancer un pied après l’autre.

Une ligne d’une force rare, un usage puissant et subtile de trames, de superpositions, d’ombres, le tout en deux couleurs – un rouge braise et un bleu aube –, une tentation expressionniste comme dans un cartoon pour adulte ou, encore une fois, une scène de théâtre lyrique : Un travail comme un autre déstabilise et prend le risque d’exagérer et de repousser. Mais c’est là la marque d’un auteur ambitieux et en pleine possession de ses moyens, qui n’a pas peur d’aller trop loin, vers l’inconfortable et le douloureux. Bravo.

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