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Philippe Squarzoni : « La crise écologique sera essentiellement une crise sociale »

16 avril 2012 |

squarzoni_introPhilippe Squarzoni est un auteur engagé. Après Garduno en temps de paix, Zapata en temps de guerre ou Dol, il revient avec un pavé de 500 pages autour d’un sujet crucial pour le XXIe siècle : le réchauffement climatique. Un phénomène en cours depuis déjà des décennies, et dont l’origine humaine est indéniable. À la fois documentaire exigeant et pointu, et réflexions personnelles sur la possibilité d’un individu à influer sur l’inéluctable, Saison brune analyse les causes et les conséquences désastreuses du réchauffement, et balaie les pistes possibles pour les limiter. Entre un réalisme glacial et la tentation – chaque jour réduite – de croire en un avenir meilleur. Un livre fort et nécessaire, sur lequel l’auteur revient en détail pour BoDoï.

squarzoni_2degres1Comment se lance-t-on dans un livre aussi dense ? Est-ce facile à financer ?
L’idée de Saison brune naît alors que je travaille sur Dol, une bande dessinée sur le bilan des politiques de droite menées lors du dernier mandat présidentiel de Jacques Chirac [parue en 2006 chez Les Requins Marteaux, elle vient tout juste d’être rééditée par Delcourt – ndlr]. Au moment de m’attaquer à la partie sur le bilan écologique, je commence à me documenter sur la question du réchauffement climatique; je découvre que je connais très mal le sujet et que le phénomène est bien plus grave que je ne le craignais. Je me rends alors compte que cela mériterait un livre à part entière. Au départ, je ne réalise pas encore que j’aurais besoin de 500 pages, mais je sais que j’ai besoin de temps pour enquêter. C’est tout le paradoxe : il faut du temps pour proposer un synopsis à un éditeur, qui permet alors de toucher une avance sur droits si le projet est retenu, mais en attendant… Avant de me lancer dans Saison brune, je publie chez Delcourt l’album Un après-midi un peu couvert. Puis je retourne au sujet du climat, développe quelques pistes de thèmes et réalise plusieurs planches. Delcourt me suit et on part sur une idée d’un livre de 300 pages environ. Quelques mois plus tard, après avoir fait une centaines de planches, je me rends compte que j’aurais besoin de 500 pages… Au final, c’est un projet que je porte depuis six ans, et sur lequel j’ai effectivement travaillé entre 3 et 4 ans, grâce à l’avance sur droits et à une bourse du CNL.

squarzoni_2degres2Vous concluez votre livre sur une importante partie politique. Pourquoi ce choix ?
La structure du livre en six parties s’est rapidement imposée, car elle me permettait d’approfondir mon questionnement initial. Les deux premiers chapitres sont consacrés à l’aspect scientifique du réchauffement climatique, les faits, les chiffres. Les deux suivants sont centrés sur ses conséquences, telles qu’on peut les anticiper aujourd’hui, avec toute l’incertitude que cette projection comporte. Une incertitude renforcée par mes questions personnelles, en tant que narrateur. Enfin, les deux derniers évoquent les solutions possibles pour éviter les plus graves conséquences, tant au niveau individuel, qu’au niveau politique. Car je suis persuadé que la crise écologique sera essentiellement une crise sociale : l’élévation des températures, la hausse des précipitations, tout cela aura des répercussions sur les sociétés. Il existe d’ores et déjà des réponses techniques à la limitation des émissions de gaz à effet de serre, dans la production d’énergie, dans l’industrie, dans l’habitat, dans l’agriculture. Mais les freins au nécessaire changement de société pour y parvenir sont principalement politiques.

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Comment s’est fait le choix de vos sources et de vos interlocuteurs ?
Pour les questions scientifiques, je me suis basé sur les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui synthétise ce que dit la science mondiale. J’ai ensuite rencontré des chercheurs qui travaillent avec ou sur ces rapports. De plus, j’ai lu des auteurs assez différents sur des questions techniques, comme le nucléaire ou les énergies renouvelables, afin de me forger une opinion. squarzoni_nucleaireEnfin, pour la dimension politique, j’ai interrogé des personnes avec qui je partage certaines valeurs comme le soutien aux populations les plus pauvres et l’aide au développement [des économistes proches d’Attac, par exemple – ndlr].

Pourquoi ne pas donner la parole aux climatosceptiques et vous contenter de les citer ?
Il ne s’agit pas d’un refus de contradiction de ma part. Mais si on interroge un universitaire qui conteste le réchauffement climatique ou son ampleur, et même si on démonte ensuite ses arguments, on va sous-entendre qu’il y a un débat sur la réalité même du réchauffement, alors que la science a démontré que nous sommes face ce phénomène et qu’il a une origine humaine. Il fallait donc que je mentionne les climatosceptiques, mais je ne voulais pas alimenter un faux débat.

De manière générale, toutes les personnes interrogées dans votre livre abondent dans le même sens.
Je pars du principe que, lorsqu’on a un point de vue (et tout le monde en a un), on fait mal parler les contradicteurs, notamment en offrant le dernier mot à son propre camp. Par souci d’honnêteté, je ne mets pas en scène le débat. Par ailleurs, je pense qu’il est important d’assumer sa subjectivité : c’est pourquoi je me mets en scène, je montre qui parle. Cela donne en plus une dimension humaine au récit et souligne que les problèmes qui se posent avec le réchauffement, se posent aussi au niveau individuel.

Comment jugez-vous la quasi absence des sujets environnementaux dans la campagne pour l’élection présidentielle ?
J’en suis stupéfait. Il semble que les préoccupations économiques passent avant le reste, et dans la tête des gens, l’écologie joue contre l’économie. La crise financière, depuis la crise des subprimes, a fait beaucoup de mal à l’écologie, tout le monde essaie de sauver les meubles du système actuel, sans penser au reste. Mais d’une manière générale, beaucoup de thèmes sont absents de la campagne et des grands médias, qui semble ne se focaliser que sur des faits divers… Et c’est curieux, mais j’appris que deux chaînes de télévision ont refusé de parler de Saison brune, car elles trouvaient le sujet trop politique…

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squarzoni_indienD’où vient ce titre, Saison brune ?
Dans l’État du Montana, aux États-Unis, il existe une cinquième saison, entre la fin de l’hiver et le début du printemps, la saison brune. La neige fond, mais la nature n’est pas encore prête à repartir, tout n’est que boue… Je trouvais que cela reflétait bien mon sujet : on est entre deux histoires, un moment suspendu entre la fin d’un monde où l’on pensait les ressources infinies et le début d’un autre, fini, où l’on n’aura d’autre choix que celui de la sobriété. Et puis, pendant la création du livre, j’ai passé la quarantaine, le « milieu statistique » de ma vie; et je sais que cette seconde partie de ma vie ne s’ouvre sur rien. J’ai voulu raconter cette double inquiétude dans Saison brune, et c’est le paradoxe du livre : c’est celui où j’ai accumulé le plus de faits scientifiques, mais aussi celui où j’ai inclus le plus d’éléments personnels. Mais j’ai essayé de ne pas trop en faire, car c’est relativement casse-gueule d’évoquer la mort de son chien, alors que j’écris un peu plus tôt que le réchauffement climatique entraîne aujourd’hui celle de 300000 personnes par an…

Comment avez-vous conçu, graphiquement, votre album ?
Je commence à maîtriser un peu mieux ma petite cuisine narrative et je savais dès le début que je mélangerais récit à la première personne, métaphores graphiques, images de pure illustration, voix off, interviews face caméra… D’ailleurs, ces dernières sont plus techniques à réaliser qu’il n’y paraît, car il faut les construire comme un dialogue, rapprocher les paroles des uns et des autres… Ensuite, il y a des choses qui interviennent en cours de route, comme l’utilisation des publicités. Je pensais aborder le sujet de la publicité dans le texte, mais je ne pouvais pas tout traiter dans mon format déjà imposant de 500 pages. Donc j’ai effleuré le sujet via le dessin, j’ai laissé parler ces images qui montrent la société telle qu’on la rêve.

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Il y a aussi des scènes de combat, où vous vous représentez en guerrier luttant contre des créatures…
squarzoni_maitriseC’est à la fois pour se faire plaisir en tant que dessinateur, un hommage aux comics de super-héros (que je lis davantage que de la BD documentaire, d’ailleurs), et une métaphore pour montrer que des pistes se dégagent si on lutte contre ces monstres issus de la société de consommation (les produits du quotidien et les transports trop gourmands en énergie, le mythe de l’abondance). Il y a une possibilité, mais ce sera de toute façon un combat.

Mais vous avouez ne pas croire que les sociétés feront ces choix-là.
Effectivement, dans la dernière partie de l’album, on voit qu’il y a une porte de sortie, avec des solutions techniques qui existent pour arrêter de gaspiller notre énergie, sans sacrifier notre niveau de vie. Mais le fait que cette porte existe ne veut pas dire que nous saurons l’emprunter.

Sort-on facilement d’un tel projet, porté depuis tant d’années ? Comment passer à autre chose ?
Le processus de finir un livre est long. Depuis mon dernier dessin, j’ai eu les textes à placer, les corrections à faire. Puis il y a l’impression, les rendez-vous avec la presse, l’attente de la sortie en librairie. Je le quitte donc tout doucement, mais ce n’est pas si facile, car il a eu sa petite vie à mes côtés pendant longtemps… Et je ne vais pas embrayer sur un autre livre politique tout de suite, je vais d’abord travailler sur une fiction, dans un autre univers, à une autre époque…

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Saison brune.
Par Philippe Squarzoni.
Delcourt, 29,95 €, le 28 mars 2012.

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Images © Squarzoni/Guy Delcourt productions – Photo © Olivier Roller

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