Dans la Grèce des années 30, le régime politique ne veut plus entendre de musique contestataire, ni celles qui viennent d’ailleurs, d’Orient notamment. Terminé le rébétiko et ses notes d’exil, de douleur et de liberté. Comment survivre en tant qu’artiste dans ces conditions ? Combien de temps peut-on lutter contre les puissants ? Faut-il partir pour espérer ? Quinze après l’incontournable Rébétiko, David Prudhomme revient sur ses pas et met en lumière des personnages féminins puissants : Beba la talentueuse, Marika l’ambitieuse et Katina, leur mère à toutes et tous.

À travers ces trois figures fortes, dont il tisse un portrait tout en nuances, ainsi que les musiciens qui leur tournent autour, l’auteur de L’Oisiveraie interroge le fait même d’être un artiste quand le monde autour de soi en rejette le principe. C’est-à-dire refuse la liberté de création, d’imagination, de contestation, qui est la première nourriture de l’art. Il parle aussi, de fait, de déracinement et d’identité, de la mémoire culturelle qu’on charrie avec soi quand on part de sa terre, et de la peur qu’elle ne s’effrite. En composant son histoire presque comme un petit soap opera, avec ses coups de foudre, ses jalousies, ses rebondissements, ses éclats de rire, ses fâcheries et ses larmes, David Prudhomme prend le temps de construire ses personnages dans toute leur complexité, voire leurs contradictions face à une marche du monde moderne qui les écrase. Son dessin vibrant, à la fois très maîtrisé mais toujours sur un fil, exprime de la plus belle des manières la tension de ces musiciens au bord du vide. Quant à la mise en couleurs (l’album est sorti cet hiver dans une première version à l’italienne, en noir et blanc), elle pose des ambiances chaleureuses, de jour comme de nuit, presque fantastiques par moments. Car il y a quelque chose de presque surnaturel dans ces notes de rébétiko, aussi vivifiantes que déchirantes.