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Anaïs Flogny : « J’aime créer des personnages qui donnent l’impression d’avoir des vies en dehors des cases »

5 mai 2025 |

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Anaïs Flogny, par Cécile Gabriel

On a découvert son travail sur Instagram, vite séduits par son sens du mouvement, son usage des couleurs et ses OC (personnes originaux) attachants. Rivages lointains, son premier ouvrage paru en janvier 2024, était l’un des premiers titres de Combo, le label young adult de Dargaud, et a confirmé qu’Anaïs Flogny était une autrice à suivre. Un an plus tard, on l’a retrouvée en librairie avec une collaboration avec l’autrice Véro Cazot, Le Jour du caillou. L’histoire de Mona et Eko, vieux amis en rupture, que leur peine coince de jour en jour dans une boucle temporelle, à l’insu de Mona… Anaïs Flogny a mené les deux projets en parallèle, signés peu après sa sortie de l’école Pivaut, où elle s’est formée à la peinture et à l’illustration de presse et pour la jeunesse. Elle n’en a pas fini avec l’univers de Rivages lointains : un préquel a été annoncé en avril, à paraître chez Dargaud en 2026. Nous avions rencontré l’artiste quelques mois plus tôt à Angoulême, où nous avons discuté couleurs, choix esthétiques et création de personnages.

Comment est née la collaboration avec Véro Cazot sur Le Jour du caillou ?

J’aimais déjà beaucoup ce qu’elle fait – elle a écrit une de mes BD préférées, Betty Boob [ressortie en février, ndlr]. Et puis il y a eu une drôle de coïncidence : un jour, alors même que je parlais à ma femme des BD de Véro Cazot, j’ai reçu un message d’elle. Elle m’écrivait qu’elle avait écrit une nouvelle histoire, et qu’elle pensait que mon dessin “irait parfaitement avec”. J’étais évidemment intéressée ! Elle m’a donc envoyé un scénario. 9791034768585C’était le bon moment pour moi, j’avais vécu une rupture amicale assez difficile et j’ai trouvé quelque chose de cathartique dans ce projet. De plus, l’univers du cirque est très intéressant à travailler. Dessiner des visages, ça va deux secondes ; mais un corps qui bouge, des vies, des drapés… Véro m’a offert un terrain de jeu immense.

Comment s’est déroulé ce travail à deux, alors que vous étiez seule sur votre album précédent ?

J’ai signé les deux projets à quelques mois d’intervalle : pendant environ un an, j’ai travaillé en parallèle sur Rivages lointains et Le Jour du Caillou. On voulait que ce dernier reste une collaboration entre Véro et moi du début à la fin. Elle avait d’abord écrit un déroulé détaillé de l’histoire. On a retiré certaines choses, et développé des points qui m’intéressaient. Nous avons étroitement aussi travaillé certains points avec Camille, notre éditrice.

Pour donner à Véro le temps de bien travailler la boucle temporelle, d’en régler tous les détails, on travaillait par séquences. Elle écrivait ce qui correspond à une vingtaine de pages, je faisais une proposition de storyboard, puis je tous les encrages, et la couleur. Ça nous permettait d’avoir des séquences terminées, et pour elle de rebondir sur la suite du scénario par rapport à ce que j’avais dessiné. Jusqu’à la fin, on s’est nourrie l’une l’autre.

En travaillant sur l’histoire de quelqu’un d’autre, j’ai pu explorer de nouvelles choses. Je ne pensais pas être capable de faire de l’humour !

Avez-vous eu du mal à mener deux projets à la fois ?

C’était un peu terrifiant, au début. Mais j’aime changer ce que je fais, sinon je m’ennuie. J’avançais sur Rivages lointains quand je voulais faire du numérique, et quand j’en avais marre, je passais sur Le Jour du caillou, qui est réalisée au traditionnel et m’a permis d’expérimenter. Là où Rivages demande une beaucoup de rigueur, parce qu’il est ancré dans une époque précise, parce que c’est un polar, Véro m’offrait quelque chose de beaucoup plus lyrique et théâtral.

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Le Jour du caillou

C’était agréable de travailler avec quelqu’un de plus chevronné, qui voyait des choses que je manquais. En travaillant sur l’histoire de quelqu’un d’autre, j’ai pu explorer de nouvelles choses. Je ne pensais pas être capable de faire de l’humour ! Je me suis énormément amusée. J’ai aussi beaucoup appris en écriture de dialogue : les personnages de Véro Cazot ont une vraie voix.

Le Jour du caillou est donc une boucle temporelle, qui se répète dans un environnement assez simple. Comment en avez-vous travaillé l’esthétique ?

Très vite, avec Véro, on s’est envoyé des références visuelles : des BD dont on aimait l’ambiance, des illustrations, des photos. On a tout de suite établi certains lieux reconnaissables comme le coin de rivière, le village… Une autre chose nous tenait à cœur : l’aspect intemporel, on ne peut pas vraiment situer l’époque – c’est moderne, mais pas trop, il y avait une scène avec un téléphone qu’on a retirée.

Trouver un personnage, c’est se demander : à quoi va ressembler cette personne, quelle est l’énergie qu’elle dégage ? Mona, on l’a eue quasiment tout de suite, Eko, ça a été un peu plus long. Et pour représenter la boucle, j’ai créé des images clés : le lac, la baffe du matin, qui est un gag très visuel… Parfois, j’ai aussi réutilisé certaines cases, avec une légère variation, ou en changeant de point de vue sur la scène.

Quels choix avez-vous fait sur le travail de la couleur ?

J’aime travailler avec une palette limitée, ça m’amuse et ça me permet d’attribuer des couleurs marquantes à un personnage ou un événement. Avec la boucle, il faut que tout soit très facilement identifiable, d’où le bleu intense du lac par exemple. Les nouveaux lieux, que l’on découvre plus tard, sont introduits par une nouvelle couleur. J’ai joué avec la texture : le lavis, l’encre sont davantage pour Mona, tandis que Eko a eu droit à plus de hachures, et de crayon. Ces jeux, même si le lecteur ne le remarque pas activement, il peut le ressentir.

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Le Jour du caillou

Quelles sont vos inspirations ?

J’adore les affichiste-illustrateurs des années 1940-50, comme René Gruau et Austin Briggs. J’aime le dessin de Julie Rocheleau dans Betty Boob, et le travail de Matthieu Bonhomme, surtout Le Marquis d’Anaon avec Fabien Vehlmann au scénario. Je suis très inspirée par l’écriture de Hubert, en particulier Beauté ou Miss Pas Touche. Pour Le Jour du caillou, il y a Cyril Pedrosa, notamment dans sa manière de représenter la végétation dans L’Âge d’or. Certaines de mes proches sont aussi parmi mes illustratrices préférées, comme Sophie Leullier, ma femme, qui a fait l’excellent Ce que les corbeaux nous laissent, et Gaëlle Geniller, l’autrice du Jardin, Paris et Minuit passé.

Je suis également inspirée par des films, de la musique, des romans. Pour Rivages lointains, il y a eu Brassens, Aznavour, des classiques de jazz ou les musiques de film de Nicholas Britell ou Justin Hurwitz, l’écriture de Pierre Lemaître ou La Griffe du chien de Don Wislow. Pour la dimension circassienne du Caillou, j’ai utilisé des références que Véro m’avait suggérées, notamment le spectacle d’un duo dont l’homme a inspiré Eko physiquement. Mais je me suis laissé une grande part d’interprétation. Pour moi, l’objectif n’était pas tant de représenter du cirque, que de capter les sensations que ça m’évoquait.

Mes personnages originaux sont à la fois de nouveaux amis et des vieux copains, ils me sont extrêmement précieux.

Sur Instagram, vous postez des « univers alternatifs » avec vos personnages de Rivages Lointains, mis en scène dans un autre contexte que celui de la pègre américaine des années 1940…

Techniquement, Rivages est déjà un univers alternatif pour ces protagonistes. Jules, Adam et Euphrasio sont des personnages que je mûris depuis longtemps. Je fonctionne beaucoup à l’affect, je pense qu’il y aura toujours une partie d’eux dans ce que je fais. Par exemple, le projet du Bal des étourneaux [inspiré des Illusions perdues et des Liaisons dangereuses, et situé dans les années 1830, ndlr] que j’aimerais beaucoup mener à bien, ce sont eux – avec d’autres noms, d’autres costumes et d’autres trajectoires.

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Rivages lointains

Dans la création de personnages, je suis très attachée au physique et à l’énergie. J’aime me dire : « Si je les mettais dans cette situation, comment seraient-ils ? » Avec Sophie Leullier, nous faison beaucoup de role play (RP) écrit, qui nous permet de développer des personnages ensemble. La version d’Adam que j’écris actuellement correspond plus à celui construit avec le RP, qu’à celui de Rivages. Même après avoir écrit cette histoire, le personnage a évolué, et je veux raconter d’autres choses avec lui. Ce que j’aime quand je dessine, et que j’ai envie de faire ressentir au lecteur, ce sont des personnages qui donnent la sensation d’avoir des vies en dehors des cases. Ce sont à la fois de nouveaux amis et des vieux copains, ils me sont extrêmement précieux.

Ce rapport aux personnages, on le retrouve dans beaucoup de pratiques de la culture web…

J’ai grandi avec Internet entre 2000 et 2018 : c’était beaucoup de fanfiction, de dōjin [création japonaise amateure, ndlr], de manga, de communautés en ligne, de forums. On échangeait d’abord sur des blogs, puis j’ai connu les migrations vers Tumblr, Deviantart, et ensuite Instagram, Twitter… Il y a une mutation logique, on se retrouve avec beaucoup d’autrices de la même génération, avec un même désir de création très axée sur les personnages – c’est notre cas avec Sophie et Gaëlle, que j’ai connues sur Internet. On parle souvent ce qu’on imagine pour eux ensemble, c’est hyper stimulant !

Je pense que cette expérience nous offre une vraie liberté narrative par rapport à des auteurs installés, qui ont dû répondre à des codes pour s’insérer dans la BD. On est beaucoup à venir des anime, du jeu vidéo, donc on a certaines envies narratives – parce que, grandir avec un média, c’est aussi savoir ce qu’on ne veut plus voir dedans. On est la génération qui a digéré les références franco-belges, cette culture jeu vidéo et manga, des auteurs comme Boulet ou Maliki, puis a eu envie d’autres choses. Et on s’est autorisées à le faire au cœur de ces communautés, par exemple à apporter de la représentation queer avec la fanfiction. Quand on arrive dans la sphère éditoriale, on sait que ça plaît, qu’il y a un public qui est prêt. Tout ça commence à bouger, et j’ai bon espoir que ce qu’on fait devienne extrêmement mainstream. Je ne demande que ça.

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Le Jour du caillou

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Le Jour du caillou.
Par Véro Cazot et Anaïs Flogny.
Delcourt, 21,95 €.
10 janvier 2025.

Rivages lointains.
Par Anaïs Flogny.
Dargaud, 20,50 €.
19 janvier 2024.

Images © Anaïs Flogny – Photo © Cécile Gabriel
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